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CRITIQUES
ŒUVRES

"VERSANT NORD"
L Harmattan éditeur, 1997

Christophe Dauphin

"Sans jamais hausser la voix, ce poète fraternel traverse le grouillement vivant des villes et des déserts. Causticité, amour, dérision, imprécation, tout cela devient pour nous morale décapante parce que : « de sa propre nuit - la poésie fait exister ».

Voilà ce qu'écrira Eugène Guillevic sur Karénine cl son oeuvre majeure, "Ô America" (Intertextes,1991). Dans cet important recueil de près de 300 pages, Karénine se révélait comme poète et maître d’œuvre d'une anthologie du continent américain, balisant inlassablement le territoire physique et spirituel des Etats-Unis. Sans aucun doute, à propos de Karénine, pourra être évoqué le terme d'américanité. Né en 1933, Karénine, poète franco-américain, vit et travaille en France;. Mais n’en pas moins profondément marqué par ses racines d'outre Atlantique. L'homme et le poète sont tournés vers l'espace américain, « L'Amérique c'est moi. Je ferme les yeux, je touche des cicatrices familières, je n'esquive aucune de ses réalités. Elle demeure prise dans ma jeunesse quelle garde le pouvoir de prolonger ».
Karénine, fut un temps, proche de la Beat Generation de San Francisco. Cela se sent dans l'écriture. On remarque d'ailleurs une certaine parenté avec Allen Ginsberg, mais peut-être encore plus, avec Gary Snyder, à travers cette communion entre le divin et la nature. Emily Dickinson apparaît également comme une référence importante. « Je campe dans les pays de l'homme rouge ; je deviens ce mineur fou par ses propres galeries qui, à la sortie du labyrinthe, hume le vent indien avant de s'engloutir à nouveau dans les villes solitude. Les dépotoirs de New York ne sont-ils pas les plus inouïs ? Sur ses ordures fume, radieuse, la jeunesse du monde ».
II faudra relire "Les Fenêtres" (Le Pont sous l'Eau, 1990), "Graffitis pour les murs de demain" (Chambelland, 1976), "La fête à Caïn" (Le Pont de l'Epée, 1978), pour se convaincre de l'originalité de cette poésie d'énigmes et de saveurs américaines certes, mais aussi universelles et fraternelles.
Poète de l'exploration continue des spectres intérieurs du monde et de l'être, Karénine, à l'image de ses "Fenêtres", s'ouvre aussi bien sur les paysages du dedans, que du dehors, ce qui est le cas, avec ce dernier recueil, "Versant nord". La poésie pour Karénine, « participe au tumulte des naissances, au rire des révolutions, ne militant toutefois qu'à l'intérieur de son ordre. Concrète et singulière, elle s'ouvre, autrement que la pensée abstraite, à l'universel ». Toutefois, la Poésie de Karénine ne semble pas beaucoup marquée par la biographie de l'homme. Elle correspond davantage à une traque du dedans, qu'illustre parfaitement ce nouveau recueil : « Le doute trouve des porte
Et l'angoisse des repères
Tu lèves alors en moi
Sans rivage ni recours »
Ce recueil est entièrement marqué par le sceau de Dieu. Karénine a la foi, il nous entretient de ses rapports avec Dieu, et de sa perception du divin : « tiens ma main d'aveugle et tire l'horizon ». Il n'y est pas pour autant question de théologie. Non, : « Comme le cri dans ses tourbillons, je restitue le silence à ses navigations de phosphore » ; il s'agit bien ici de poésie, où la spiritualité s'allie à 1’onirisme, car « la poésie est goût des commencements ».
Voix moderne de la poésie mystique, Vim Karénine élève des voiles sur la vague de notre ciel intérieur, tout en exposant l'homme comme un « étranger à la lumière ».

Christophe Dauphin
Revue « Rimbaud » N°15 septembre 1998


Vim Karénine :
VERSANT NORD
Collection "Poètes des cinq continents'", L'Harmattan éditeur, Paris, 1997.


Les armes fragiles de la poésie
Yvan Mécif, Revue Rémanences 1997

Recherche menée en silence depuis de longues années et se situant paradoxalement de plain-pied avec le monde dont elle se fait le traducteur, elle fait part de son inquiétude de la séparation d'avec lui, traduisant l'angoisse de la guerre et de la mort tout en ne cessant de célébrer les éléments de vie qui le composent. Présente et inséparable de la nostalgie d'un juste équilibre, de la crainte aussi, pour l'être, du désordre que peut instaurer la parole sur les choses. Ainsi, elle révèle, en les effleurant, les premiers instants, comme si la conscience que nous en avions et, plus encore, le doute que nous éprouvons sur le langage (cri dépit de l'armature de notions qui la dirigent) viendraient à les anéantir.
La vision des commencements en est sa substance comme le secret désir de régresser jusqu'à atteindre en amont ce « point zéro » de l'écriture où rayonne la première instance du sentir, du désir et du voir. Poésie "verticale" faite de purs ravissements et donc de haute vision d'allure mystique (puisque, à travers l'errance géographique, c'est d'une quête de l'être dont il est question) elle cherche à définir partout sur la terre « l'esprit par le visible » dont l'incarnation tient dans l'intermédiaire entre le lourd et le léger, le divin et le terrestre et dont les arbres croqués dans leur robe flamboyante d'automne pourraient bien être, pour le poète, les transmetteurs et les symboles.
Face à ces battements, qu'importent le nom et la vie du poète si son verbe se fait souffle incessant,
« semence ou .filet d'eau - désir toujours » ; c'est la poésie, et notamment l'aphorisme comme règle
d'existence qui fournit à l'auteur les armes nécessaires à sa survie dans ses combats contre l'assaut toujours
possible du doute et de l'angoisse, de l'incertaine certitude d'une « aventure pour rien » se révélant néanmoins être un engagement et une défense de la fragile harmonie de l'univers, renforcés par son affinité avec les peintres tous deux soucieux des justes rapports.
Mais laissons-lui le dernier mot tant son écriture - qui est souvenir - ne manque pas de force et abolit tout bavardage; tel le poète à qui il ressemble étrangement,

« L 'aventurier s'en va
Laissant sa poudre d 'aile
Légère entre nos doits. »

II est des noms immédiatement reconnaissables jusqu'à l'inauthenticité, d'autres dont le travail se trouve renforcé par une quête menée à l'écart; celui de Vim Karénine est de ceux-là. Souhaitons qu'il en soit ainsi longtemps.


VERSANT NORD
Jean-Pierre JOSSUA O.P.


Jean-Pierre JOSSUA O.P.


Graffitis pour les murs de demain.
Bagnols-sur-Ceze: Chambelland, 1976. Pp. 47.
Francis J. Greene
Several books on the topic of graffiti have appeared during the past few years, yet none of these publications has really provided a satisfactory analysis of this fascinating phenomenon which has been with us since the cave era of human existence. Vim Karenine's Graffis pour les murs de demain, published in 1976, is not another book about graffiti, but rather a work of graffiti itself, not scribbled on the side of a subway car, but carefully composed and offered, as the title suggests, for "tomorrow's walls." These graffiti consist of sentences and phrases arranged in groups of fifteen according to a series of themes-graffiti of the rose, poetry, time, death, love, God, suffering, and the morning, with two additional sections situated just after the midpoint of the work, sections devoted to "crazy graffiti" and "even crazier graffiti."
These graffiti are not meant to be explained, but rather to be experienced. They cannot all be read "to be understood" as such, though at certain moments they do provide fleeting glimpses of the author's own interior world. However, it would be risky to read them in order to understand the author-an uncertain venture in any case, but particularly with Karenine whose work is highly poetic and deeply personal. The great value of these graffiti is that they provoke our own reflection on the various themes treated. Here, as in Karenine's earlier works, Ricercari and Resplendir, the sensitive reader is invited, or rather challenged, to collaborate with the author through a truly creative reading of the work, allowing the author's observations to serve as a point of departure for our own meditation and reflection.
The structure of the graffiti in groups of fifteen according to various themes suggests an interesting progression from love and poetry, themes rich in images of nature, to themes of time and death, after which we are led to a consideration of love, one of the few remedies to the ravages of both time and death itself. Love then leads, as elsewhere in Karenine's writings, to the Divine, the "graffiti of God." At first it may seem strange that this sublime progression is followed by the sections of "crazy graffiti" and "even crazier graffiti," but there is a logical progression here as we are led back from the Divine into a world which is fully human and admittedly crazy at certain moments. Plunged back into such a milieu, we are confronted by, and in some ways prepared for, the graffiti of suffering. The work ends with the graffiti of the morning in which is sounded again, as earlier in the work, the theme of Resurrection. Thus we are offered an itinerary of sorts, one that leads by many walls, some of which must be passed, others of which must be scaled. They are tomorrow's walls because they still lie ahead of those who choose to follow the same route which Karenine has already travelled.
Quite often the graffiti we see scribbled on a wall by someone who has been there before us serve to glorify the writer, elevate his ego, and proclaim in whatever form: "I was here." However, Karenine's graffiti are not at all self-aggrandizing; rather, they reach out to those who follow, creating solidarity with them, letting them know that they are not alone on the route they pursue. They are graffiti which point, not to the writer, but to the untravelled road ahead.
This interesting volume is offered, as are others of the author's writings, in a bilingual edition in which an English text faces each page of French. The excellent translation by Louis .Olivier captures the nuances of Karenine's subtle poetic phrases, thus making the author's personal vision available to a very wide audience throughout the French- and Englishspeaking world.

Francis J. Greene, Saint Francis College, Brooklyn


Revue Le Pont de l’Èpée n° 52-53
La tentation est grande pour le poète de formuler le monde, de feindre un instant le posséder dans la bouche… Il évite le piège où est tombé qui vous savez, parce qu’il garde à sa formule, selon le conseil de Rimbaud, la racine du « lieu »…Profond, sans se vouloir didactique, resserré sans être rassis… on s’interroge dans la fraîcheur.



Vincent-Marc Karénine : 0 AMERICA (Intertextes éditeur/ Barbier-Beltz)

Ce n'est pas une plaquette, ce n'est pas un recueil, c'est un missel, c'est une bible ! Énorme, 270 pages, en poésie, c'est exceptionnel. Symphonique, composé par cycles comme autant de chants;Oratorio par le nombre de voix. L'ambition de son auteur est à la mesure du résultat; chanter l'Amérique dans sa démesure et ses paroxysmes, dans son immensité et ses particularismes. Les cycles s'opposent : New-York aux déserts, la réduction des Indiens à l'expansion-titre. L'ensemble est composé dans la minutie du détail et le cisèlement de la formule. Fenêtres, haillons, graffitis sont soigneusement numérotés comme autant de photos zébrées, de cartes postales oniriques, ou de flashs d'un autre monde On découvre dans cette profusion poétique les couleurs crues et les odeurs capiteuses. I1 y a chez Vincent-Marc Karénine la volonté herculéenne de recenser tous les lieux, tous les paysages, tous les gens, tous les instants. On reste confondu devant ce pavé qui tient de la performance et du chef-d’oeuvre. C'est une poésie qui se lit autant qu'elle s’admire. Il y avait le roman-fleuve, Vincent-Marc Karénine a inventé le recueil-continent.

Barbier-Beltz 7 et 8 rue Pecquay 75004 Paris
Lettre de Jean-Claude RENARD


Eugène GUILLEVIC

O America
" Voici un poème dont le centre se trouve dans chacune des parties et dont le tour couvre l'étendue du continent américain ! Paysage vaste pour se livrer à une expérience grâce à laquelle sera reconnue « une beauté jamais voulue pour elle-même ». Et chaque fraction d'espace génère, ici, sa forme de poésie.
La fable et la réalité s'interpénètrent dans un voyage à travers temps et espace, un voyage qui fait surgir en nous le sens intérieur de la faune, de la flore, des éléments, des choses, cela gràce à la présence d'un poète - Vincent-Marc Karénine - qui vit la passion du langage.
Avec des mots, je veille du dedans, écrit-il. Avec les mots, il sait creuser, il sait construire. Et par la hardiesse de ce langage, la diversité confondante de ce livre, à l'image de la réalité qu'il explore, gagne son unité.
Sans jamais hausser la voix, ce poète fraternel traverse le grouillement vivant des villes et des déserts. Causticité, tendresse, détresse, humilité, humour, solitude, amour, dérision, imprécation : tout cela devient pour nous morale décapante parce que: « De sa propre nuit - la poésie fait exister. » "



CRITIQUE de Patrice Delbourg dans les Nouvelles Littéraires
OASIS NEW YORK
« Dans les rues de Manhattan, les hamburgers ont un goût d’éponge brûlée. Dans sa longue quête nocturne, Vim Karénine et sa voix collective vous râpe la gorge comme la nourriture des métis. Récit-patchwork où la plus grande métropole est vue à travers quatre prismes : matin, midi, soir et nuit.
Les fragments de cette mosaïque s’animent comme les graffitis des métros ensevelis. Sur les pontons délavés de Coney Island des Blancs lisent la Bible, des Noirs avec des chaussures en crocodile écoutent Bach à Carnegie Hall, des Jaunes glissent, silencieux, le long du jardin botanique du Bronx…
Après les canifs luisants des noctambules il y a comme un bonheur animal d’exister.
La traduction en anglais américain est présentée en regard du texte original. Cette poésie colle à la ville comme ces prostituées plaquées aux encoignures au passage des sirènes de la police. Mais déjà le rodéo des calandres chromées touche à sa fin. Le bras se dresse alors en bout de course, se relève et se pose à nouveau, automatiquement, à la première ligne. »

CRITIQUE de Jean Manbrino : « L’auteur peut faire confiance à la charge spirituelle de ce texte qu’il appartiendra aux lecteurs de découvrir à leurs risques et périls .»



OISEAU-DIEU

BOOK REVIEW in THE FRENCH REVIEW, vol 56, n°3, feb 83

Vim Karénine’s most recent collection of poems, L’Oiseau-Dieu, is remarkable for several reasons. It is the first of the author’s works to whic he has added a preface, speaking directly about is writings and concerns. Further, Karénine reveals, in clear and explicit terms, themes and obsessions that had been implicit in early works. For those unfamiliar with the author, the volume may well serve as an excellent introduction, since the first half is composed of poemes ans meditations drawn from earlier works such as Ricercari, Resplendir, Oasis New York, and Graffitis pour les murs de demain. The second half of this volume entitled Les Fenêtres composed entirely of new material.
In his prefarory remarks Karénine tells us that he is dealing directely in l’Oiseau-Dieu with the theme of God. In fact this theme has always permeated Karénine’s writing, although its expression has often been subtle and understated, whereas now it breaks forth in full force. It is appropriate, then, that the author include, in the first half of this small volume, selections from earlier works where the theme of men’s search for God has been most apparent. In Les Fenêtres, emerge more clearly than ever before Karénines’s favorite theme of presence, absence, exile, searching thirst, silence, the human word, and the Divine Word.
As is always the case with Karénine’s writings, these reflexions are deeply personal, rich in complex and often obscure imagery, wich often become the starting point of basis for the reader’s own reflexion. Such reading is rarely easy but almost always richly rewarding. A careful examination of the Preface will particularly prepare the reader fot this effort since Karénine’s discussess not only his intentions, but even his personal religious beliefs. The author also discusses the increasing emergence of another theme quite present in earlier works – that of the United States. During the past ten years most of the Karénine’s works have been filled with references to and scenes of the United States, where the author resides. Admitting that his French readers may often be unfamiliar with this local rellferences, the author explains a number of them present in Les Fenêtres. Thus the reader is prepared for a literary journey to places as diverse as New York City; Death Valley, California; Moab, Utah; and Greensboro, North Carolina.
At one point in his preface Karénine asks whether Pascal’s Dieu sensible au coeur can have any meaning in a age the author defines a fin de siècle even a fin de monde. We may well be approaching the end of an age, as Karénine suggests, and perhaps the end of even more than that, but one senses that Karénine himself is nowhere near the end of his long literary evolution. Those familiar with earlier works will undoubtly await with interest Karénine’s next effort and further development of his concerns announced in L’Oiseau-Dieu.

Saint Francis College (N.Y.) Francis J. GREENE


Henri Heinemann
Rubrique littérature pour
"O AMERICA"

On connaît la boutade : « -Dis, maman, c’est loin l’Amérique ? Tais-toi et mange ! » Voilà dans quel esprit caustique j’ai commencé « O America ». J’ai découvert un livre fabuleux, un poème au long cours, comme le sont l’Odyssée, Moby Dick. Un poème pluridimensionnel, où l’on se gorge de mots, où l’on se grise de graffitis, où l’on se régale de « photographies », où l’on porte son c
ur au quatre coins et aux cent lieux de ce pays continent-planète ! Il y a des villes, leurs ponts, leurs pubs et leurs pubs, l’underground et Central Park sur le coup de midi. Il y a « l’aube venue aux lèvres des Collines Noires », les bancs de Hatteras au confluent des courants du Labrador et du Gulf Stream, la danseuse de la Nouvelle-Orléans, « avec son serpent autour du cou », les rivières qui accourent de chacun des points cardinaux, et les œufs au bacon et les Pentecôtistes à Brooklyn, que sais-je ! En fait une Amérique « inguérie » de sa naissance, de son eden indien, de son âme et de sa saga conquérante… E
core fallait-il un poète hors du commun pour la chanter d’une voix multiple, émouvante et dérisoire, chaleureuse et persiflante, savoureuse et décapante. D’où les modes d’écriture qu’il adopte : ici le poème lyrique et là, la prose descriptive, ici la guirlande de graffitis et là la phrase-flash, ici le chant choral, ou peu s’en faut, et là l’invocation futuriste, ici l’épitaphe et là le collier à calembours. Ce qui ressort de tout cela ? Une Amérique ruisselante et belle. Qu’on ne s’étonne pas qu’un Guillevic, un Rousselot, aient salué ce festival de mots, de musique, d’images et de tendresse.AN